Impatiences

Affiche-GerzatS’extirper. S’exposer à nouveau. Tenter de se démasquer ?

« Black & Blue » : l’expo suit son cours1, confidentielle comme il se doit, l’essentiel niché dans la rareté des rencontres. M’y suis risqué avec pour me donner un peu d’assurance les mots d’ordre de la Great black music, qui m’est une source vive. We insist ! / Stand up ! / Don’t give up ! Autant de titres que j’aurais pu donner à mes toiles, autant de maximes pour les temps présents. Charles Mingus, Archie Shepp – Black Power, Black Lives… Aller jusqu’où ça tremble. Assembler des figures d’effroi et de colère. Puis calmer le jeu. Tenir tête.

À la désolation tout autour, à l’interminable délitement. Au sentiment qu’il n’y a plus d’universel que les troupes de robocops suréquipés qui se ressemblent tant, d’un pays à l’autre. A croire qu’il n’y aura bientôt plus que les manifestations pour faire l’épreuve du réel – donner ou recevoir des coups [Annuler et remplacer par : effleurer, caresser, palper].

À l’asphyxie des corps et des imaginaires / 18 000 noyés en Méditerrannée entre 2015 et 20202, 18 000 photos à épingler aux murs de nos chambres, pour veiller sur notre sommeil.

Exemplarité de Purple Sea, ce document caméra dans l’eau après qu’une embarcation ait chaviré. Regardez ces jambes qui remuent pour se maintenir à flot, s pantalons et ces baskets qui sont sans doute les seuls biens de ceux qui les portent, ce pan de manteau obsédant. Entendez ces clameurs étouffées qui claquent tout d’un coup lorsque très brièvement la caméra émerge. C’est interminable, il ne se passe rien, c’est difficile de regarder jusqu’au bout, et pourtant ça ne dure qu’une heure. Et pour eux ? Nous faisons mine de les ignorer parce qu’ils sont nos autres, le revers de notre monde, sa béance. Cette irréalité, dans l’écran, de corps anonymes suspendus à leur survie, cependant qu’à l’autre bout on nous dit le succès des « vols en direction de nulle part ». Sans commentaire.

Je ne fais rien, pour me tenir éveillé, pour me relier, que me tenir à mon crayon, à mes pinceaux. Que d’improviser des conduites, à défaut de stratégie. Paul Nizon, il y a bien des années, l’a dit3 mieux que je ne saurais : « Et je sombre de tout temps dans cette solitude, quand je me tiens éloigné de mon activité solitaire de danseur de corde, quand je stagne, je suis si profondément convaincu que tous ceux qui font autorité doivent être partie prenante de la destruction en ce monde, j’ai sans doute de par mon sentiment été depuis le tout début pénétré par cette conviction, il n’y avait pas de clairière dans mon pessimisme le plus noir, et je retombe immédiatement là-dedans, quand je m’arrête, que je m’interromps, que je ne poursuis pas mon écriture, ma croisade dans l’écriture, je suis sans doute d’une tristesse infinie en mon for intérieur, et tout ce dont j’ai soif, tout l’amour, tout l’éclat de la vie, toute la beauté, toute la simplicité sont conquises sur cette noirceur, et c’est cela mon œuvre, c’est tout, c’est aussi simple que cela. »

Définitivement.

1Hôtel de ville de Gerzat, Puy-de-Dôme, jusqu’au 29 octobre, qui me vaut 1 mn de visibilité warholienne : https://www.youtube.com/watch?v=CkRxksoWyy0

2 https://www.arte.tv/fr/videos/076646-000-A/numero-387-disparu-en-mediterranee/ Une lettre d’amour retrouvée dans un portefeuille… L’admirable recherche d’identité de ces disparus, afin qu’ils aient une sépulture.

3 Paul Nizon, L’Envers du manteau (Actes Sud, 1997, p. 144). Son nom fait revenir ceux de Georges Perros, Bernard Noël, Joë Bousquet, et aussi Patrick Cloux – une fratrie, un réconfort. Les livres ne meurent pas dans les bibliothèques !

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