Faisant désormais partie de ces « vieux cons » qui pensent que la complexité oblige sans cesse à nuancer l’argument d’une certitude mais pas forcément à instruire celle-ci dans les poubelles de l’histoire, je vous livre cet accès d’humeur…
Chaque jour qui passe enrage un peu plus ma privation de spectacles vivants et « ça commence à suffire » !!! Je veux recevoir toutes les mobilisations en cours et diverses prises de Parole comme un signe de santé, un refus de renoncement, un appel aussi à la mobilisation des militants de l’éducation populaire aux côtés des artistes qui vont contaminer autrement notre quotidien et non comme l’expression d’un dernier sursaut, pour l’honneur…
Je repense souvent à cette situation paradoxale, vécue à Avignon en juillet 2003, de grève des artistes intermittents en lutte pour leurs droits et statut, et qui avait conduit le directeur B Faivre d’Arcier à annuler le festival. Il s’en était suivi une mobilisation des festivaliers présents ; de nombreuses rencontres formelles et informelles se déroulèrent un peu partout et dans les centres d’accueil collectifs de festivaliers gérés par les CEMEA, des échanges avec des comédiens et membres d’équipes artistiques, graves et chaleureux, sur la situation de sidération que nous éprouvions, à la fois solidaires et frustrés, mais qui ne donnaient pas envie aux festivaliers accueillis dans les centres de quitter Avignon pour autant. Ce fut un festival de débats non seulement sur la place du théâtre dans la cité et le statut des intermittents, mais sur notre place de spectateurs et nos pratiques de consommation culturelles. A. Mnouchkine était venue dans la cour des Ortolans dire son désarroi de voir sa troupe, pourtant gréviste et solidaire du mouvement, divisée entre ceux qui voulaient absolument jouer et ceux qui refusaient.
Comme il y a presque 20 ans, et pour de toutes autres raisons, l’exercice de nos droits culturels dont il est soudainement et à nouveau fortement question aujourd’hui, devient un manque manifeste. Nous sommes aujourd’hui privés de spectacles, privés de cinéma, d’expos, d’art, de rencontres diurnes et nocturnes,et bien trop obéissants.
La culture, le sens et la fonction dans notre société de l’accès et de la fréquentation des œuvres par le public, les publics, ne sont pas essentiels pour la logique marchande gestionnaire de notre situation en pandémie. Il faudrait donc en conclure que l’enjeu de chaque évènement culturel, de chaque représentation ou spectacle, de constituer un collectif, de toucher un public en s’adressant à chacun de ses sujets, d’éveiller, de réveiller son esprit, sa conscience politique, son sens esthétique, n’est pas essentiel pour continuer à se survivre, en attendant le vaccin, même entourés de toutes les conditions sanitaires ; comme s’il nous fallait admettre que cette interdiction, ces fermetures de lieux de spectacles devenaient l’expression en miroir de notre impuissance, autrement plus signifiante, plus forte et spectaculaire que les contenus des œuvres et des représentations supprimées, un miroir de notre condition plus fort que le théâtre, que le spectacle vivant lui même. Je ne m’y résouds pas du tout.
Et, bien que l’état d’urgence ait substitué dans notre plafond démocratique une consommation télévisuelle ou numérique de masse à cette interdiction de culture vivante, et alors que les livres ont continué d’oxygéner l’esprit d’évasion des déjà-lecteurs, la désignation comme non essentielle, j’allai dire l’assignation au non essentiel de la culture vivante, n’en constituent pas moins une asphyxie, un bâillonnement plus que symbolique de la parole de l’artiste comme de l’activité de spectateur …
La réalité cruelle est bien que la scène quotidienne de nos existences séparées manque terriblement de lumières poélitiques communes !
Alors serons nous cette insurrection citoyenne qui vient ? Quand on nous annonce dans les sondages, à un an des échéances électorales présidentielles, la fascisation tranquille de la société française !!
En toute solidarité et soutien avec Vous et toutes vos formes de résistance sensible et politique.
Très clair, ,très stimulant.
Vivement qu’on puisse en parler et surtout qu’on puisse le vivre!